Dès la « Conférence ouvrière et socialiste » des 24 et 25 novembre 2007 et au Congrès constitutif du P.O.I., des militants anarcho-syndicalistes ont indiqué clairement leur volonté de participer à la construction et au développement d’un parti ouvrier indépendant, parti de classe, internationaliste, fonctionnant sur les principes fédératifs, pour rassembler celles et ceux qui n’acceptent pas la remise en cause de tous les acquis sociaux, politiques, démocratiques, résultats de la lutte des classes. Nous avons dit aussi, pour la République, la démocratie, le socialisme, ce qui signifie à terme, la socialisation des grands moyens de production.
Cette volonté est réaffirmée aujourd’hui avec plus de force que jamais, compte tenu de l’accélération de la contre-révolution, détruisant le maillage républicain, pour faire place à une Europe des macro-régions, dans le cadre d’une politique globale instaurant une société de type corporatiste. Rappelons que le corporatisme (trop souvent confondu avec la défense des intérêts corporatifs) consiste à intégrer les organisations syndicales ouvrières et patronales dans des organismes communs, chargés d’appliquer les décisions économiques, sociales des gouvernements (hier avec les. chartes du travail de Mussolini, Franco, de Salazar, de Vichy pour ne parler que d’elles, aujourd’hui avec la Commission de Bruxelles, l’Union Européenne instruments du capitalisme. Articulés autour du principe de subsidiarité, fondement de la doctrine sociale de l’Eglise, tous les traités européens, de Maastricht à Lisbonne, ont, entre autre, comme objectif déclaré, la transformation de la nature et du rôle de nos organisations syndicales.
Le projet de loi sur la réforme territoriale, la loi sur la « représentativité syndicale et le dialogue social » sont en France des pièces majeures de ce dispositif.
La République, une, indivisible, laïque, (qui n’est pas la fin de l’Histoire) comme conquête révolutionnaire est contradictoire avec l’Europe des régions. La loi d’août 2008, produit direct de l’accord (position commune) CGT-CFDT-MEDEF-CGPME, non seulement est contradictoire avec l’indépendance des Confédérations ouvrières, avec la Charte d’Amiens de 1906, mais elle remet en cause la loi sur les syndicats de 1884 et la loi de 1901 sur le droit d’association.
A ce propos, il faut saluer le combat mené par de nombreux militants de la CGT qui n’acceptent pas la dérive - et le mot est faible - de leurs responsables confédéraux.
L’objectif de cette loi est aussi au bout du compte de ramener les négociations, ou dites telles, au seul niveau de l’entreprise, tendant ainsi à briser la solidarité ouvrière de classe qui s’organise, à partir des syndicats, par les Unions départementales, les Fédérations d’industrie, les Confédérations.
Nous sommes face à une offensive de très grande envergure, sans doute la plus importante, si l’on excepte les régimes cités il y a quelques instants.
Bien entendu, cette offensive se développe au niveau international et nous ne ferons que mentionner dans cette courte intervention le rôle destructeur des directions de la CES, de la CSI, qui se parent du qualificatif de réformistes, mais en sont tout le contraire, c’est à dire intégrationniste et corporatiste.
Ce rapide panorama, loin de nous décourager, nous incite au contraire à confirmer la participation d’anarcho-syndicalistes au développement du P.O.I., tel qu’il se définit dans la déclaration de principes et les statuts.
Certains camarades pensent que ce développement ne va pas assez vite, ou encore que la classe ouvrière ne réagit pas suffisamment… Il est vrai que nous traversons une période difficile.
Les formes de la lutte de classe, son intensité, la grève générale, ne se décrètent pas.
D’autres périodes vécues par le mouvement ouvrier nous apprennent qu’il faut savoir s’armer de patience. Nous avançons au même rythme que la classe et non pas en dehors d’elle.
Mais le rejet massif des opérations saute -mouton des bureaucraties d’appareils syndicaux et politiques, l’abstention ouvrière et populaire tout aussi massive aux élections européennes, sont des facteurs dont nous ne devons pas sous estimer l’importance ; ils démontrent que la classe ouvrière prend conscience de l’impasse tragique où nous conduisent les politiques d’accompagnement de ceux qui, seulement préoccupés par les élections régionales et présidentielles, désertent le terrain de la défense des intérêts ouvriers et démocratiques, et d’autres catégories sociales (pêcheurs, agriculteurs, etc.)
Dans cette période d’interrogations, d’intenses réflexions de milliers de militants ouvriers, d’appartenances politiques et syndicales différentes, il nous revient, parce que nous l’avons décidé ensemble, par notre présence active dans le mouvement ouvrier tel qu’il est, d’apporter nos propres analyses, nos explications, nos propositions d’actions.
Le rapport d’activité présenté à ce congrès, témoigne que les résultats obtenus dans l’action politique du Parti Ouvrier Indépendant, à partir de ses comités locaux, sont loin d’être négligeables, et sont plus qu’encourageant.
Rappelons-nous la formule d’un militant répondant à un jeune camarade dans une période particulièrement difficile «Tu me demandes ce que l’on peut faire, alors qu’il y a tout, qu’il y a tant à faire.»
Mes chers camarades, avant de quitter cette tribune, je souhaite, au nom de mes camarades anarcho-syndicalistes, mais aussi, je pense à votre nom à tous, saluer la mémoire d’Alexandre Hébert, dont les obsèques ont eu lieu mardi 19 janvier.
Pendant 70 ans, aux cotés d’autres camarades, dont Pierre Lambert, mais aussi du courant socialiste authentique, de syndicalistes réformistes foncièrement attachés à la Charte d’Amiens, il s’est obstiné à rassembler les militants du courant appelé à l’époque « lutte de classe » dans le mouvement syndical, pour son indépendance totale. Rien n’a été facile, les discussions, quelquefois passionnées, n’ont pas manqué.
Qu’il s’agisse de la bataille contre la guerre d’Algérie, contre l’expédition de Suez, ou bien dans le combat pour le double non au référendum gaulliste de 1969, ou comme président de la Fédération des Cercles de Défense Laïque (FCDL) dans les années 80, ou encore de son travail de démystification de la doctrine sociale de l’Eglise, donc du corporatismes, l’apport d’Alexandre Hebert est extrêmement important.
Dans les semaines qui viennent, des camarades republieront des textes d’Alexandre Hébert. Citons brièvement quelques lignes, de janvier 1980, il y a 30 ans, d’un article intitulé « LA CRISE » :
« La société capitaliste qui s’avère incapable de maîtriser la circulation des marchandises condamne du même coup son propre appareil de production ce qui ne peut manquer de conduire à une situation révolutionnaire. Mais une situation révolutionnaire n’aboutit pas forcément à la révolution car qui dit révolution, dit aussi contre-révolution.
C’est dire que les révolutionnaires en général et les anarcho-syndicalistes en particulier, doivent demeurer lucides.
Pour les anarcho-syndicalistes, l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. En clair, cela signifie qu’en aucun cas, ils ne peuvent s’associer à ceux qui prêchent la théorie des nouvelles avant-gardes, autrement dit, ceux qui nient le rôle et la place de la classe ouvrière dans un processus de transformation sociale qui ne peut prendre tout son sens que dans une perspective historique.
Les anarcho-syndicalistes ne peuvent séparer leur sort de celui de l’ensemble de leur classe et la classe ouvrière ne peut espérer jouer son rôle historique que dans la mesure où elle préserve l’indépendance de classe de ses organisations. »
Et ce sont des propos d’une actualité brûlante.
par Laurence STRIBY